Écologique et intelligente : l'économie mondiale du XXIe siècle
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Nous voulons accélérer le développement de l'IA pour lutter contre le changement climatique tout en gérant de manière responsable son impact environnemental
Article de Nicholas Stern, Président de l'Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et l'environnement, London School of Economics
Le monde a entre ses mains les moyens d'appliquer l'intelligence artificielle (IA) et l'apprentissage automatique (machine learning, ML) pour faire avancer la transition vers le "zéro émission nette" et permettre à la planète de rester sous la barre des 1,5 ℃. L'IA et le ML peuvent accélérer considérablement les processus (automatisation des process, accélération des prévisions et du traitement des données, etc.), stimuler la productivité (productivité des ressources et efficacité énergétique, par exemple), et aider à concevoir et faire fonctionner des systèmes plus performants (fonctionnement des systèmes énergétiques, urbains ou de mobilité, et interaction de ces systèmes entre eux, par exemple). La combinaison de ces deux technologies est en mesure de libérer une nouvelle croissance, une croissance plus durable, résiliente et équitable, tout en aidant à gérer les risques majeurs urgents liés au changement climatique, à la perte de biodiversité et à la pollution.
Bien que les études sur l'étendue des effets combinés de l'IA et de la décarbonation sur la croissance restent encore rares, les premiers résultats suggèrent qu'ils se cumulent et accélèrent les changements systémiques. Les recherches que j'ai menées récemment en collaboration avec différents experts ont permis d'identifier cinq domaines dans lesquels les applications d'IA et de ML pourraient s'avérer particulièrement efficaces pour accélérer la décarbonation :
1. Améliorer les systèmes complexes : pour une action efficace en faveur du climat, il est nécessaire de transformer rapidement les structures qui sous-tendent les systèmes clés (villes, utilisation des terres, transport, industrie et énergie). L'IA peut aider à repenser la conception de ces systèmes complexes et à les faire fonctionner efficacement. Par exemple, dans le secteur de l'énergie, l'IA peut aider à gérer la prévisibilité de l'équilibre entre l'offre et la demande, et améliorer la productivité des systèmes. Google DeepMind a montré que de telles applications pouvaient contribuer à accroître la valeur économique de l'énergie éolienne de 20 % en réduisant le recours à des sources d'alimentation de secours.
2. Encourager les changements comportementaux : les technologies d'IA et de ML servent déjà à identifier et prédire les schémas comportementaux individuels et collectifs. Elles peuvent être appliquées pour réduire les émissions en offrant aux consommateurs des choix plus durables, à l'impact environnemental plus faible. Par exemple, le projet Ant Forest d'Alipay récompense ses utilisateurs avec des "points d'énergie verte" chaque fois qu'ils font un "choix écologique", comme utiliser un vélo en libre-service pour se rendre au travail. En échange de ces points, Alipay plante un arbre ou protège un habitat. L'IA pourrait faire progresser encore plus ces mécanismes en incitant à adopter des comportements favorisant un changement systémique durable. En effet, les conventions sociales et les actions d'autrui constituent d'importants moteurs de l'adoption de comportements écologiques.
3. Découvrir de nouvelles technologies et solutions : la prochaine décennie sera cruciale pour la commercialisation de technologies propres. L'IA et le ML peuvent accélérer le processus de découverte scientifique de manières encore inconcevables il y a seulement quelques années. Par exemple, Google DeepMind a récemment utilisé l'outil d'IA GNoME pour identifier plus de deux millions de structures cristallines théoriques. Cela représente plus de 45 fois plus que ce que la science avait identifié jusqu'à présent. Une récente étude de la London School of Economics a montré que les technologies d'usage général orientaient les changements technologiques, particulièrement en ce qui concerne la concurrence entre les technologies propres et polluantes.
4. Modéliser les systèmes climatiques et les politiques : les effets dévastateurs du changement climatique se constatent déjà partout dans le monde, qu'il s'agisse de l'augmentation du niveau de la mer ou de la fréquence des événements climatiques extrêmes. L'IA et le ML peuvent aider à mieux appréhender les causes de ces événements, par exemple en analysant les interactions complexes entre changement climatique et diminution de la banquise en Arctique. Ces technologies peuvent également servir à concevoir et implémenter plus efficacement des politiques publiques en faveur de l'action climatique, grâce à des prévisions plus fiables de leur efficacité à orienter les choix et les comportements des organisations et des personnes.
5. Prédire les impacts pour renforcer l'adaptation et la résilience : la prévision des risques et l'amélioration des systèmes d'alerte en cas de catastrophe climatique constituent deux des principales applications de l'IA. Les chercheurs du British Antarctic Survey et de l'Institut Alan Turing ont développé IceNet, un outil d'IA qui prédit les niveaux de banquise à partir de données issues de capteurs satellitaires utilisés pour la modélisation du climat. Pour sa part, Google a développé Flood Hub. Cet outil basé sur l'IA fournit des informations plus précises, jusqu'à une semaine à l'avance, sur les inondations fluviales et prédit les inondations dans plus de 80 pays.
Le potentiel est considérable. Il reste toutefois un certain nombre de problèmes, de risques et d'inconnues à étudier. Voici quelques questions encore en suspens :
1. Comment gérer le biais inhérent aux systèmes d'IA actuels, en particulier les biais dus au fait que les données exploitées reposent essentiellement sur des informations provenant des pays du Nord et sont dominées par des connaissances en anglais ?
2. Les technologies d'IA et de ML génèrent leurs prévisions à partir de tendances historiques. Nous devons donc faire preuve de prudence lorsque nous nous en servons pour nous guider à travers des changements structurels qui ont toutes les chances d'être radicalement différents de ceux du passé. Les prévisions de l'IA et du ML éviteront-elles les pièges qui nous ont précédemment amenés à systématiquement sous-estimer la puissance de l'innovation et l'adoption à grande échelle des technologies à faible émission de carbone ?
3. À mesure que l'économie évolue vers un avenir à zéro émission nette et que les applications d'IA et de ML se répandent, comment répondre aux préoccupations que cela soulève en matière d'automatisation et d'emploi, et comment assurer une transition juste face à ces deux transformations cumulatives ?